Malgré les critiques récurrentes sur le "déni français" et les craintes "d'une bombe à retardement au cœur de l'Europe", formulées par la presse anglo-saxonne et de grands investisseurs, la France n'en bénéficiait pas moins d'une grande mansuétude de la part des marchés financiers.
Las, Paris vient de faire l'objet d'un sévère rappel à l'ordre. Lundi 19 novembre à 23 heures, l'agence de notation Moody's a retiré la note Aaa de la France, la meilleure possible et le signe d'un investissement, en théorie, sans risque, pour la ramener à Aa1, la deuxième évaluation sur une grille de vingt.
Moody's pourrait ne pas s'arrêter là : l'agence a aussi placé la note de la France "sous perspective négative", ce qui veut dire que l'Hexagone pourrait voir sa note encore abaissée.
Déjà dégradée le 13 janvier par Standard & Poor's, la France n'est plus notée AAA que par une seule des trois principales agences de notation, Fitch (détenue à 50 % par l'homme d'affaires français Marc Ladreit de Lacharrière), la plus petite des trois. Et encore, cette dernière a elle aussi placé le triple A de la France sous perspective négative.
SÉVÈRE RÉQUISITOIRE SUR L'ÉTAT DE LA FRANCE
La décision de Moody's était attendue depuis longtemps. Dès octobre 2011, l'agence avait mis un premier coup de canif dans la note française, avant de la placer sous "perspective négative" le 13 février. Aussi, au ministère des finances, on n'a été guère surpris quand, lundi vers 13 heures, elle a appelé Philippe Mills, le directeur général de l'Agence France Trésor – l'instance chargée de "vendre" la dette française – pour le prévenir de sa décision.
Le directeur du Trésor et le ministre des finances, Pierre Moscovici, aussitôt alertés, les équipes de Bercy ont eu douze heures pour éplucher le communiqué de l'agence et faire des réserves et/ou corrections avant qu'il ne soit publié.
Il faut dire que le texte de Moody's pour justifier sa décision est un sévère réquisitoire sur l'état de la France. L'agence met en avant trois principales raisons.
D'abord, les "multiples défis structurels" qui affectent "négativement" les perspectives de croissance à long terme de la France. L'agence pointe la "perte de compétitivité graduelle et soutenue" du pays, une pierre dans le jardin du gouvernement, car ce jugement intervient moins de quinze jours après l'annonce d'un "pacte de compétitivité" (dont un allégement de charges de 20 milliards d'euros sur trois ans) censé rendre les entreprises françaises performantes face à leurs concurrentes étrangères mais aussi destiné à rassurer les investisseurs internationaux, inquiets sur ce point.
"DÉFI STRUCTUREL"
La décision du gouvernement Ayrault n'est toutefois pas passée totalement inaperçue. "Le gouvernement est conscient des défis. Il sait qu'il doit agir", indique Dietmar Hornung, "Senior Credit Officer" chez Moody's, analyste principal pour l'évaluation de la France basé à Francfort, et dit avoir accueilli positivement les annonces consécutives à la publication du "rapport Gallois".
Mais certaines mesures ne produiront leurs effets qu'à horizon 2014, signale M. Hornung. Et l'agence explique dans sa note que "l'ampleur limitée du mouvement sur la note reflète aussi la reconnaissance par Moody's des travaux en cours du gouvernement sur un programme de réforme visant à améliorer la compétitivité du pays et les perspectives de croissance à long terme".
Bref, sans "pacte de compétitivité", la dégradation aurait pu être violente. D'autant que les bilans des gouvernements français "depuis deux décennies" sur ces réformes structurelles ont été "médiocres". La France a aussi un autre "défi structurel" selon Moody's : la réforme du marché du travail dont l'agence pointe des "rigidités durables". Et de dénoncer "une protection importante pour les contrats à durée indéterminée", rendant les "licenciements particulièrement difficiles" et "source de freins à l'embauche".
Certes le gouvernement espère un "compromis historique" à l'issue des négociations entre le patronat et les syndicats pour bousculer le marché du travail en France. Mais le temps des politiques n'est pas celui des marchés, et Moody's semble impatiente. "Nous attendons les annonces", se contente de souligner M. Hornung.
HYPOTHÈSES DE CROISSANCE "EXAGÉRÉMENT OPTIMISTES"
Moody's met aussi en avant les "perspectives budgétaires incertaines" du pays : les hypothèses de croissance de Paris pour construire son budget (+ 0,8 % en 2013 et 2 % à partir de 2014) sont considérées comme "exagérément optimistes".
Troisième, et dernier grand point justifiant la dégradation : la moindre capacité de la France à absorber "de futurs chocs au sein de la zone euro". Moody's met notamment en exergue une exposition "disproportionnée" du pays à l'Europe du Sud, en matières commerciale et bancaire. D'autant que l'agence n'écarte toujours pas une possible sortie de la Grèce de la zone euro. "Ce n'est pas notre scénario central mais cela fait encore partie des probabilités et si cela devait arriver…", indique M. Hornung.
M. Moscovici a "pris acte", de cette dégradation, lundi soir, et réaffirmé que la dette française reste "parmi les plus liquides et les plus sûres de la zone euro". Et le ministre de renvoyer la balle à ses prédécesseurs : cette dégradation "reflète, comme le souligne Moody's, l'insuffisance des gouvernements précédents à redresser les comptes publics et la compétitivité de notre économie".
Argument balayé par Jean-François Copé, le nouveau patron de l'UMP, qui estime que "la gauche porte clairement une part importante de responsabilité dans cette dégradation".
Dans les hautes sphères de l'Etat, on estime aussi que cette "dégradation intervient un peu à contre-temps par rapport au mouvement engagé. Elle aurait été plus logique il y a trois ou six mois".
Certains s'étonnent surtout de l'accent mis sur les réformes structurelles et la compétitivité. Moody's n'en avait pas parlé quand, début février, elle avait placé Paris sous perspective négative. "Le gouvernement a parlé de compétitivité, donc Moody's en parle, lâche, fataliste, un haut fonctionnaire. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de sujet, reconnaît-il. Il faut tirer les conséquences d'un constat déjà fait par le gouvernement : le pays a besoin de croissance, de comptes publiques équilibrés et de retrouver sa compétitivité."
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